Il dit : « Talismanie est un recueil de cinq chansons sur les femmes et les contours changeants de leur représentation ». Dans le même élan, s’interroge : « Comment habiter poétiquement le monde tout en prenant part à une conversation
actuelle et concrète ? Comment faire ce travail et quelle place occuper quand on est un groupe d’hommes ?». Déclaration d’intention de Vincent Ehrhart-Devay, chanteur-compositeur et force motrice de la formation, à l’orée de cet EP. Comme un désir viscéral de se raccrocher à la marche sociétale. Comme une prise de conscience individuelle. Comme une approche réflexive, sans militantisme ou vérités assénées. Libre de toute tutelle, si ce n’est celle de la sincérité. Variations sur le même thème donc, impulsées pendant les confinements et la contrainte pour ses membres de l’éloignement géographique. Elles surgissent trois ans après Grand Paon
de Nuit - qui n’a d’éphémère que son titre -, premier album au bel emballement critique et qui a débouché sur la constitution d’un solide noyau de fidèles. Souvenir encore tenace que ces chansons intenses et intimes, aussi avenantes que rugueuses, traversées par une sensualité nocturne. Qui se déroulaient avec une grâce onirique
au sein de son alternance anglais-français et s’habitaient un peu plus à chaque écoute, faisant de Palatine un ami précieux, un guide serein, un enchevêtrement heureux entre Timber Timbre, Nick Cave, Alain Bashung et Jason Molina.
Toujours ici, pour Talismanie, ce folk-rock mutant aux inflexions mélodiques americana, cette vibration des grands espaces, ces ambiances crépusculaires, ce lyrisme délié, cette moiteur langoureuse, cette voix suave, haut-perchée et pénétrante. Toujours ces ruptures rythmiques, ces montées sourdes, ces percées filmiques,
cette mélancolie affable, cette vivacité nonchalante. Toujours les mêmes musiciens au diapason et à l’unisson: Jean-Baptiste Soulard (guitariste qui a aussi publié entre-temps Le silence et l’eau, probante rêverie sonore et mystique), Adrien Deygas (contrebasse), Toma Milteau (batterie). Moins énigmatique et vénéneuse qu’auparavant, la flamboyance de l’écriture embrasse une vision plus directe, plus frontale. Cathartique, bien sûr. Instinctif, aussi. Vincent Ehrhart-Devay use autant du portrait que du recours à la première personne. Déjà manifeste dans le répertoire de Palatine - Ecchymose notamment, sur les violences conjugales - la thématique de la femme et de sa réalité absorbe ainsi intégralement ce minialbum. Il y a le consentement, évoqué à travers la situation banale de la drague basculant dans une forme de lourdeur (Elenore, d’inspiration à la Johnny Cash). Ou celui, plus grave et intolérable par ses assauts violents, qui hante les victimes (La main). Il y a également le traitement de la symbolique féministe où s’entrechoquent Calamity Jane, Jeanne d’Arc et les Femen (Jane Jane). Trois figures emblématiques, chacune à leur manière,
d’émancipation et de militantisme. Il y a encore la Banshee, créature de la mythologie celte, messagère de la mort qui prédit et annonce un décès par son cri, représentative ici de la parole libérée des mouvements #metoo et #balancetonporc (The Everynight Banshee). Et une plume impressionniste qui offre une sorte de grandeur au rôle de la call-girl (Samovar). Il y a là, enfin et surtout, des chansons liminaires, impériales et à la beauté magnétique.